Quelles études marketing pour prendre dix ans d’avance sur ses concurrents ?

Interview de Florence Hussenot (Fondatrice et CEO d’Adwise).

Avec l’aimable autorisation de MRNews

Pour Florence Hussenot (Adwise), vouloir prendre 10 ans d’avance est une ambition éminemment souhaitable côté entreprises compte tenu de l’importance des mutations qu’elles se doivent d’assimiler. Et celle-ci n’a rien d’irréaliste, la condition étant de déployer un vrai regard prospectif sur un large spectre de problématiques, y compris lorsqu’elles semblent à première vue relever de l’ordinaire ou du court terme. Elle évoque ici ses convictions et le mode opératoire de sa structure pour adresser cet enjeu.

  • MRNews : Prendre 10 ans d’avance sur ses concurrents, est-ce une ambition réaliste pour une entreprise aujourd’hui ? 

Florence Hussenot (Adwise) : Même si elle est extrêmement exigeante, il me parait tout à fait souhaitable que les entreprises aient cette ambition. Voir celle-ci comme irréaliste au motif que nos sociétés sont en crise serait à mon sens une erreur. En réalité, notre monde est davantage en situation de mutation que de crise, avec des changements irréversibles tant pour la donne climatique que s’agissant des comportements des consommateurs. Mais sans doute faut-il au préalable définir ce que signifie « dix ans d’avance »…

Voir cette ambition (de prendre dix ans d’avance) comme irréaliste au motif que nos sociétés sont en crise serait à mon sens une erreur. En réalité, notre monde est davantage en situation de mutation que de crise, avec des changements irréversibles tant pour la donne climatique que s’agissant des comportements des consommateurs.

  • Comment le définiriez-vous de votre côté ? Dans notre vision, cela consiste à donner à l’entreprise la capacité d’anticiper, et ce en adossant sa réflexion sur une compréhension exhaustive de son environnement client. Il faut d’abord se situer, et ensuite se projeter. Définie ainsi, l’ambition me semble bien à la fois souhaitable et réaliste. Ne pas le faire constituerait une démarche à risque. Elle est souhaitable pour éviter de se retrouver à subir. Et réaliste parce qu’il est possible de décoder les dynamiques de changement à l’œuvre, et d’identifier des scénarios personnalisés. 

Dans notre vision, (prendre de l’avance) consiste à donner à l’entreprise la capacité d’anticiper, et ce en adossant sa réflexion sur une compréhension exhaustive de son environnement client. Il faut d’abord se situer, et ensuite se projeter.

Au fond, il s’agit de rebondir sur les problématiques d’aujourd’hui en intégrant les méthodes de la prospective pour pouvoir prendre la hauteur nécessaire. Comment se réinventer face aux consommateurs touchés par l’inflation ? Quelles alternatives à la viande propose-t-on à la Gen Z pour ses choix alimentaires ? Voilà des exemples de problématiques de rebond qui permettent à l’entreprise de s’interroger sur ce qu’elle veut être et pouvoir offrir dans dix ans.

  • Cette ambition est-elle vraiment présente chez vos clients ? Elle ne l’est pas toujours. On observe parfois des phénomènes de résistance ou d’inertie. Certaines organisations sont manifestement prises en sandwich entre la conscience des changements en cours et un court terme qui met la pression sur des résultats rapides. J’ajouterai que, sous couvert d’agilité, les études peinent à délivrer les visions dont ces organisations ont besoin. Mais, j’y reviens, je suis convaincu de la possibilité, même face à des problématiques à court terme, d’intégrer la composante prospective à même d’aider à prendre de la hauteur. Nombre d’innovations tombent à l’eau parce que précisément elles sont insuffisamment innovantes. Elles ne sont pas cadrées dans un territoire prospectif solide, et s’appuient parfois plus sur des modes que sur des tendances sociologiques de moyen-long terme. C’est cette réflexion qu’il faut apporter, idéalement en amont pour orienter l’innovation, ou sinon après coup pour affiner les recommandations tactiques.

 

Je suis convaincu de la possibilité, même face à des problématiques à court terme, d’intégrer la composante prospective à même d’aider à prendre de la hauteur.

 

  • Quels partis-pris stratégiques vous paraissent les meilleurs pour parvenir à prendre ainsi une avance substantielle ? Chez Adwise, nous considérons que l’innovation disruptive part le plus souvent d’une innovation sociale. L’exemple d’AirBnB me semble très emblématique de cela. Lorsque cette société lance son offre, elle s’appuie à l’évidence sur une nouvelle vision du voyage. Pour prendre de l’avance, notre conviction est donc qu’il faut d’abord sortir des études « simples » pour pouvoir embarquer une compréhension large des dynamiques d’aujourd’hui. Cela ne signifie absolument pas qu’il faille renoncer aux études dites « opérationnelles », mais qu’il faut cadrer celles-ci dans une vision de moyen-long termeC’est ce que nous mettons en œuvre avec une approche Foresight Inside, qui consiste à intégrer une analyse de nature sociologique dans nos interprétations. Elle nous permet de raconter comment chaque problématique s’insère dans l’histoire du temps présent, et d’élaborer ainsi une vision systémique et dynamique.

 

Pour prendre de l’avance, notre conviction est donc qu’il faut d’abord sortir des études « simples » pour pouvoir embarquer une compréhension large des dynamiques d’aujourd’hui. Cela ne signifie absolument pas qu’il faille renoncer aux études dites « opérationnelles », mais qu’il faut cadrer celles-ci dans une vision de moyen-long terme

 

Pour cela, nous disposons d’un observatoire des tendances, un TrendsLab, composé de 5 axes de transformation, 3 grands mouvements clés et une vingtaine de drivers. Cet outil livre une photographie du temps présent, mais il donne aussi et surtout une explication des dynamiques en cours. Nous sommes aux antipodes d’une collection de modes glanées sur internet, mais plutôt dans une analyse sociologique des comportements et aspirations depuis la fin du 20e siècle jusqu’à aujourd’hui en Occident. Saisir ces dynamiques permet de se situer, mais également de repérer les opportunités de croissance et les leviers à actionner, et ainsi de caler sa stratégie. Mais tout cela implique d’avoir une vision des consommateurs qui soit large, « life-centric » …

 

  • Comment définiriez-vous ce qu’est une vision « life centric » des consommateurs ? Notre conviction est qu’il ne faut pas réduire les individus à leur seul statut de consommateur. Mais au contraire, les appréhender dans leur globalité, donc aussi en tant que père/mère, salarié/indépendant, habitant en zone urbaine ou rurale, connecté aux réseaux sociaux ou pas, etcétéra. Il importe d’intégrer largement leurs comportements, mais également le système de vie qui va avec, leurs valeurs, leurs aspirations et les contraintes qu’ils choisissent ou subissent. C’est ce qui permet de redonner de la force aux insights.

 

Notre conviction est qu’il ne faut pas réduire les individus à leur seul statut de consommateur. Mais au contraire, les appréhender dans leur globalité, donc aussi en tant que père/mère, salarié/indépendant, habitant en zone urbaine ou rurale, connecté aux réseaux sociaux ou pas…

 

Il est par ailleurs évident que le déclaratif des consommateurs ne peut être le matériau unique à partir duquel on peut générer des innovations de rupture. Le consommateur doit naturellement être intégré en tant que source d’inspiration initiale et à différentes étapes de validation. Mais l’analyse est essentielle, c’est précisément une de nos expertises clés, pour ne pas prendre ce qu’il dit au pied de la lettre. 

 

  • Compte tenu de ces partis-pris, quelles études vous semblent les plus efficaces pour guider la réflexion, de la détection des pistes de rupture jusqu’à l’exécution ? Les études exploratoires approfondies sont naturellement les plus à même d’aller dans ce sens et d’identifier les ruptures nécessaires. Mais, de fait, elles ont aujourd’hui du mal à trouver la place qu’elles devraient théoriquement occuper. Comme je l’évoquais, je crois donc à la nécessité dans les études d’associer opérationnalité et regard prospectif. C’est ce qui nous amène à proposer des investigations hybrides, avec et en dehors des études « classiques ». Celles-ci sont le plus souvent des démarches qualitatives – mais pas seulement -, privilégiant des approches ethnologiques pour bien faire la part des choses entre le discours « fantasmé » et le réel. Elles peuvent bien sûr être menées en face à face, mais aussi en s’appuyant sur les outils digitaux. En parallèle, nous collectons des « routines » de façon digitale, réalisons une veille et utilisons toutes les études secondaires disponibles. Nous transformons la complexité de la connaissance client en leviers opérationnels pour la marque.

 

Les études exploratoires approfondies sont naturellement les plus à même d’aller dans ce sens et d’identifier les ruptures nécessaires. Mais, de fait, elles ont aujourd’hui du mal à trouver la place qu’elles devraient théoriquement occuper (…). Je crois donc à la nécessité dans les études d’associer opérationnalité et regard prospectif.

 

La différence que nous revendiquons se situe ainsi dans la capacité à projeter les enseignements de ces investigations en les croisant avec la grille de notre TrendLabs ™, pour apporter un maximum de sens à ces matériaux. C’est ce même principe qui permet de rester maitre de la data. Ce tissage, que l’on nomme chez nous Protopia™, nous permet de distinguer ce qui est nouveau de ce qui existe déjà, ce qui est de l’ordre du driver ou de la mode dans le secteur et pour la marque étudiée. Nous pouvons ainsi en tirer des scénarii de positionnement ou d’innovation.

  • Qu’entendez-vous par l’idée de rester « maître de la data » ? Les entreprises ont aujourd’hui accès à une masse extraordinairement riche de données. C’est une ressource potentiellement fabuleuse. Mais elle induit un risque pour les équipes, qui peuvent vite se retrouver ensevelies sous des avalanches de data, sans pouvoir en maitriser l’usage. C’est cette mécanique qu’il faut à notre sens inverser, en déployant un cadre permettant d’aller puiser la donnée véritablement utile pour elles, celle qui fait sens pour comprendre et agir.

 

  • Une fois cette exploration menée, comment accompagnez-vous vos clients dans le passage à l’action ? C’est un des principes essentiels de notre démarche Protopia que d’être duelle, avec un temps pour explorer — via les études — et un second pour se projeter. Ce que nous faisons avec les équipes des entreprises avec lesquelles nous travaillons, dans le cadre de workshops, pour les accompagner dans cette phase de développement, l’objectif étant d’exploiter les territoires d’opportunités identifiés. Il peut s’agir de développer une offre ou une gamme de produits ou de services, un positionnement… Ou même un dispositif de distribution, comme dans ce chantier que nous avons mené avec La Vie, portant sur les alternatives à la consommation de viande (NDLR : Adwise a remporté le Trophée de l’étude de l’année 2023 avec ce projet https://www.themedialeader.fr/trophees-etudes-innovations/). Nous travaillons également l’innovation en mobilisant un collectif de créatifs. Cette Team Factory™ est composée de designers, de graphistes, de gens de l’univers de la mode, à qui nous soumettons le challenge créatif d’élaborer un nouvel imaginaire autour d’un sujet donné. C’est une de nos convictions fortes : l’imaginaire est un vecteur de sens ET une puissante agissante. C’est par lui que nos représentations et nos comportements se modifient. Nous croyons beaucoup à cette façon de travailler pour identifier de vraies innovations de rupture, et dépasser ainsi les limites du design thinking dans ce type d’exercice.

 

L’imaginaire est un vecteur de sens ET une puissante agissante. C’est par lui que nos représentations et nos comportements se modifient. Nous croyons beaucoup à cette façon de travailler pour identifier de vraies innovations de rupture, et dépasser ainsi les limites du design thinking dans ce type d’exercice.

 

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