Audrey Kabla, Fondatrice de l’agence Epykomène et coprésidente du club Luxe de l’Adetem, vient de publier Marque et Luxe aux éditions Kawa
La première de toutes les citations de ton livre ne concerne strictement pas le monde marchand : « Mon luxe serait de passer 10 minutes avec un proche qui est parti trop tôt » ; le véritable luxe ne repose-t-il pas sur une expérience personnelle, irremplaçable, dont tout le marché du luxe ne serait qu’une pâle copie ?
Cette première question me plait beaucoup !
Parmi mes ambitions & missions, je place en priorité la sensibilisation à la véritable notion du luxe. En France, mère patrie du luxe, mais aussi dans le monde, il y a des vérités et du sens à rétablir. Ce livre offre une façon amusante et libre de regarder le luxe. S’y dessine une vision « milléniale », pleine d’amour, en quête de plaisir, d’authenticité et de « zen’attitude ».
Quelques extraits (signalés en italique dans la suite du texte) pour en témoigner :
« Le Luxe est au cœur de la vie humaine. C’est une pensée et une manière de (mieux) vivre. Ancré dans les valeurs philosophiques, psychologiques, sociologiques de l’individu, il reste difficile à définir ».
Avant d’être un secteur marchand, le luxe est d’abord une philosophie de vie, un savoir-vivre et une partie du supplément d’âme de chaque être vivant. On n’oublie trop souvent qu’il y a un luxe pour chacun de nos nous, qu’il est parfaitement subjectif et évolutif, et qu’il n’a pas de relation directe avec un produit et un service.
Le secteur du luxe n’est pas une pâle copie. Il est selon moi la matérialisation marchande et commerciale de toutes les valeurs prodiguées par ce supplément d’âme. Dans la réalité, la perfection n’existe pas. Ce qui s’en rapproche le plus est évoqué par l’excellence & la quintessence. Quelle responsabilité pour les épaules de ces marques de luxe, premières de la classe et « donneuses d’exemples » !
Revenons à l’univers marchand : pour Baudrillard notre société est entrée dans le post-modernisme quand nous avons arrêté d’acheter des objets pour ce qu’ils sont, pour les acheter pour ce qu’ils disent de nous : faut-il y voir l’explosion du marché du luxe dans la seconde moitié du 20ème siècle ?
À la question, je réponds oui parfaitement.
La première révolution industrielle a poussé à la nécessité d’identifier un produit et le différencier. Nous avons utilisé les marques et développer leurs présences par le biais des éléments de marque : logo, codes couleurs, étiquettes etc. Nous pensions qu’elle n’était qu’un accessoire et nous nous sommes bien trompés. La marque s’est éveillée. Elle a pris vie sous nos yeux.
« Ne vous êtes-vous jamais demandé : la marque, est-elle pure invention humaine ? Est-ce une création inconsciente et sans conséquence lors d’un échange commercial ? Qu’est-ce qui lie intrinsèquement l’homme à la marque ? Quelles sont les raisons qui ont rendu nécessaire son existence dans nos vies ? Pourquoi la marque nous marque ? »
Dans le luxe, la marque est l’âme de la maison. Il existe ce lien émotionnel & affectif que l’on nous envie tellement par-delà les frontières du monde merveilleux. Nous aimons la marque, apprécions sa compagnie, la chérissons. Elle nous inspire de son prestige, symbole de rêve et d’imaginaire.
Nous expliquons dans le livre, comment la révélation de la marque a décuplé la force, la croissance & la renommée du secteur du luxe dans le monde. Il y a des faits chronologiques qui ont changé la face du luxe marchand.
Le meilleur exemple pour appuyer cet argument est la tendance de la dépossession. Le capital des marques grandit alors que le phénomène de valeur d’échange croit.
« L’objet se voit doté d’une valeur d’échange et d’usage qui ouvre la porte au monde de la marque. À partir du moment où je possède un produit, j’entre dans son univers. Même si je me détache de son produit, je reste chez elle : cliente d’un jour, cliente toujours. C’est la marque qui assure au produit cette seconde vie. »
Tu présentes le marché du luxe sous la forme d’une pyramide avec une base large « entrée de gamme du luxe » et un sommet « icône » : si le luxe, c’est l’inaccessible, une « entrée de gamme du luxe », est-ce vraiment du luxe, ou plutôt un ersatz ? Georges Lewi évoque quant à lui, le concept de masstige (concaténation de masse et prestige) : un luxe abordable est-il encore vraiment du luxe ?
« Qu’est-ce que le masstige ? Moitié prestige, moitié mass market, le masstige est l’alliance du monde du luxe avec les autres secteurs, et plus particulièrement la mode et le design. C’est un terme qui désigne en général les produits. On oublie qu’à ces produits sont souvent rattachés des marques « masstige », Ce sont des marques « demi-luxe ». Elles ont un bout de noblesse par le nom, elles ont l’apparence du précieux dans toute la masse, un de leurs parents est luxe.
Et puis aujourd’hui, nous pouvons également distinguer des petits luxes. Nous nous les offrons avec modération, ce sont des petits plaisirs qui nous font sortir du quotidien sans représenter pour autant, une expérience unique & hors du commun. Nous les prenons pour ce qu’ils sont : des petits bouts de bonheur simples.
Certaines marques de luxe sont des mythes, d’autres ont le potentiel de le devenir ; or les mythes nous renvoient nécessairement à une époque révolue … Le storytelling ne constitue-t-il pas une voie d’entrée dans le luxe ?
Il y a plusieurs questions en une.
Je vais commencer par la dernière. Oui le storytelling constitue bien la voie d’entrée dans le secteur du merveilleux. C’est plus qu’évident puisque le storytelling est une adaptation de ce qui se fait dans le luxe.
« L’histoire, l’héritage et le prestige de la Marque du Luxe sont créateurs du mythe. Le plaisir que nous prenons à savourer ses petites histoires, à partager ses légendes lui confèrent une renommée trans-générationnelle, libre et internationale. »
Nous ne vivons que par la création, le savoir-faire, la réalisation de rêves que nous partageons avec fierté à nos clients et qui, eux-même, les transmettent à leurs pairs : amis, famille, enfants etc. La marque de luxe est un conte de fée vivant et vibrant. Elle a une histoire, un héritage, un patrimoine que nous marketons, j’appelle cela « la romance de marque » dans le livre.
Le storytelling est l’adaptation de cette stratégie de marketing du luxe au-delà du monde du luxe et d’abord appliquée au digital. Pour nos campagnes de communication digitale, nous faisons du storytelling.
En ce qui concernent le mythe maintenant, cela ne peut nous renvoyer à une époque révolue. Rêver, créer & transmettre sont les propres de l’humanité.
« Pour quelles raisons créons-nous des histoires ? Elles symbolisent la quête perpétuelle du sens de la vie. Elles mystifient également l’expérience de la vie en nous apprenant sur nous-même et ce qui nous attire. Le mythe se fige par des mots, un film, des souvenirs et pourtant, il voyage dans le temps sans date de péremption pour nous faire rêver. C’est un modèle idéal dans lequel le dépassement de soi et l’espoir sont des constantes. »