Nouveau paradigme dans la relation aux marques : rencontre avec un historien des marques

Les nouvelles formes de relation aux marques

Rédacteur en chef de La Revue des Marques, Jean Watin-Augouard se présente comme « historien des marques » : rencontre sur le thème de la confiance, ou plutôt de la défiance dans les marques.

Adwise : De récentes études soulignent la défiance croissante dans les marques, notamment dans le secteur financier : toi, l’historien des marques, comment analyses-tu le phénomène ?

Jean Watin-Augouard : De fait la marque perd de sa superbe. Devenue institution, elle souffre au même titre que les institutions traditionnelles, d’un manque de confiance de la part des consommateurs. Cela se traduit par une désaffection, un détachement, un désenchantement. Quand bien même la préférence de marque demeure : on n’aime plus la marque en tant que telle mais on continue d’aimer « ses » marques. Dans le monde de l’immédiateté, et de l’instabilité, les consommateurs veulent être réassurés par les marques qui les accompagnent.

La défiance notamment dans le domaine financier tient donc, de manière générale, à la crise du magistère. Mais elle tient, plus spécifiquement au fait que les marques bancaires, comme celles dans le secteur de l’assurance, sont des marques « froides », désincarnées, qui sont pas su créer une relation autre que celle fondée sur le rapport de force ou le lien de subordination : on est obligé de s’assurer comme on est obligé d’avoir un compte bancaire. On parle d’ailleurs moins de « consommateurs » que d’« usagers ». La fidélité est une fidélité par défaut

Cela est bien regrettable car elles ont toute une histoire, certaines d’entre elles, créées au début du XIXème  siècle sont, tout autant, miroir et actrices de la société française. Elles n’ont pas su, excepté peut-être la Caisse d’Epargne (la saga de l’Ecureuil, son musée) créé une relation (de relatio = récit, histoire).

Comment conjurer la défiance ? Par davantage de fidélité ? Prenons garde à ce mot. Les mots fidélité-foi-fiabilité-se fier-confier-confiance ont la même étymologie latine : fides-fidere, avoir confiance. Qui, du consommateur ou de la marque doit, le premier, être fidèle à l’autre ? Et si la fidélité était d’abord une fidélité à soi-même ? Pas de fidélité sans loyauté, honnêteté, exactitude, authenticité, dévouement, constance, persévérance, autant de valeurs qui fondent la pérennité des marques qui ont su conjurer la menace de l’altération (altérité = autre). La fidélité ou l’attachement des consommateurs à la marque n’est donc que la conséquence de la fidélité de la marque à elle-même.

Adwise : Le climat « économico / politico / sociétal » est morose, ce qui ne dope pas vraiment l’envie des Français de consommer : les marques peuvent-elles nous faire sortir de cette météo plombée et nous ré-enchanter ?

Jean Watin-Augouard : Attention à la déification, à la totémisation. Si le citoyen attend de la marque un ré-enchantement, c’est qu’il a singulièrement réduit son univers affectif. Souvenons-nous de l’entretien du Général de Gaulle en 1964, interviewé par Michel Droit sur l’Europe : « L’Europe, l’Europe, L’Europe, à quoi ça sert de sauter comme un cabri »… idem pour la marque qui n’existe, ne l’oublions jamais que par le travail de l’homme.

La marque n’est que le faire-savoir du savoir-faire de l’homme. Aussi faut-il d’abord ré-enchanter le travail de l’homme sans lequel il n’est de marque justifiable et pertinente. Oui, ré-enchanter par la valorisation de l’innovation, la créativité de l’homme qui vient laisser son empreinte par la marque. Ré-enchanter en donnant de l’émotion et de la motivation (les deux mots ont la même étymologie : movere = se mouvoir) par l’invention qui ouvre le champ des possibles, des nouveaux horizons…

Adwise : Les socionautes plébiscitent des marques… sans histoire : Google, Airbnb, Uber : le passé ne devient-il pas désormais un boulet ?

Cela est dû à une mauvaise perception de l’histoire, analysée comme relevant du passé alors que l’histoire, c’est… l’éternité. Aucune école (de gestion, de commerce, de com, de pub), grande, moyenne, petite, ne sensibilise à l’histoire des marques, des entreprises, des entrepreneurs.

Or, toute marque a une histoire, celles des hommes et des femmes qui l’ont créée et la font vivre, la développe. Celle qui la singularise à travers un certain nombre de savoirs (savoir être, savoir vivre, savoir faire, savoir influencer, savoir innover, savoir dire, savoir dialoguer, converser, savoir contribuer …) qui lui sont propres et sans le respect desquels elle risque de se perdre.

C’est dans son histoire, fut-elle récente, que réside les racines de sa longévité et certaines clés de sa modernité, que l’on s’appelle LU ou Uber. Le savoir-faire pluriel porté par les hommes s’écrit et s’inscrit dans une histoire qui n’est plus synonyme de passé mais d’éternité grâce à la chaîne d’union faite des collaborateurs d’hier et de demain qui écrivent l’histoire de l’entreprise.

De quoi la marque est-elle le nom ? Que me dit-elle sur la société dans laquelle je vis et que me dit-elle sur moi ? Relisons Mythologies de Roland Barthes

Traverser le temps, c’est témoigner de la fécondité et de la vitalité de la marque fruit de la créativité des hommes. C’est en niant son histoire que l’on se crée un boulet…

Adwise : Les médias sociaux permettent aux consommateurs d’interpeler les marques : la fin de la marque dominante ? Et quels types de rapports les marques doivent-elles entretenir avec leurs clients ?

Jean Watin-Augouard : Une marque demeure « dominante » (dominus = le maître) quand elle n’est pas substituable, quand elle apporte une expertise, créatrice d’expérience, témoignage de son excellence.

Pour autant, il est vrai que le temps de la croyance en la perfection imposée par la marque aux consommateurs est révolu. L’heure est désormais aux preuves à conviction fondées sur des valeurs éthiques et relationnelles. Point de salut hors de la transparence et de l’engagement. Si la compétence de la marque relève du contrat de base, sa contribution à améliorer le mieux-être des personnes devient un enjeu qui légitime la confiance et fonde sa pérennité.

Plutôt que de « bienveillance », concept un peu « tarte à la crème » – André Citroën, Louis Lefevre Utile, Jeanne Lanvin… étaient bienveillants sans le dire !!! –  il faut mieux parler de bienfaisance de la marque ou sa manière singulière de bien faire. Cette bienfaisance concerne aussi bien le savoir surprendre, le savoir converser, le savoir contribuer de la marque au mieux-être des gens.

Mais la marque doit éviter quinze pièges : la marque « parvenue », la marque « mensonge », la marque « autoritaire », la marque « rentière », la marque « secte », la marque « frileuse », la marque « intrusive », la marque « narcissique », la marque « panurge », la marque « surexposée », la marque « personnifiée », la marque « bavarde », la marque « vagabonde », la marque « dans le vent », « moderne », la marque « hautaine » et la marque « prétentieuse ». Adwise le sait bien.

Au reste, qu’est-ce qu’une grande marque ? Celle qui peut répondre, sans crainte, à la question : « Si je disparais, vais-je manquer à mes consommateurs ? ». Celle qui peut atteindre l’excellence, la cime, (deux mots ayant la même étymologie) en évitant le… cimetière.

 

Jean Watin-Augouard, Rédacteur en chef de La Revue des Marques

 

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